Pensons plus loin : appliquons un prix unique au pain

Pensons plus loin : appliquons un prix unique au pain

Cela faisait un moment que je voulais en parler et l’actualité avec les difficultés des boulangeries est une bonne raison pour rappeler ce fait que nos mémoires ont vite oublié : jusqu’en 1987, le prix du pain en France était fixé par l’État (l’année 1978 avait déjà vu une certaine libéralisation). Le pain avait donc un prix unique, le même dans TOUS les points de vente de pain (boulangerie, supermarché, dépôt…) et dans tous les territoires.

J’ai pourtant inscrit cet article dans la lignée des « Pensons plus loin » car même si la libéralisation complète du prix du pain date d’à peine 40 ans, nombre d’entre nous, même les plus âgés, ont oublié ce fait qui avait son importance dans l’Histoire de France. Le prix du pain choisi par la boulangerie est en effet une singularité : le prix du pain a toujours été fixé par l’État[1] (monarchie comme République).

Vous allez me dire, mais pourquoi revenir en arrière ? En quoi mettre un prix unique au pain aidera aujourd’hui les boulangeries ? Si le gouvernement de l’époque (RPR avec un président socialiste) a changé la fixation du prix, c’est qu’il y avait une raison (faire jouer la concurrence pour baisser les prix). Certains diront même que cela fait communiste de fixer les prix sur tout.

Pour cet article, je vais me baser sur un prix unique que nous connaissons encore actuellement : celui du livre. Prix unique imposé par Jack Lang en 1981, et qui a tellement bien fonctionné que plusieurs pays, comme les Pays-Bas[2], la Corée du Sud[3] ou encore le Japon[4] l’ont adopté. D’autres pays comme la Suisse y réfléchisse sérieusement. Vous conviendrez que ces pays ne peuvent être taxés de communiste. Cependant, eux aussi, ont vu les avantages d’un prix unique sur le marché du livre.

Dans le cadre de la rubrique « Pensons plus loin », rappelons les avantages et les bénéfices de fixer un prix unique, d’autant plus pour le pain
qui est un des produits de base de l’alimentation française[5].
J’aurais bien voulu écrire une partie sur les inconvénients,
mais pour l’instant, je ne les vois pas
(n’hésitez pas à les mettre en commentaire si vous les connaissez).

NOTE
Pour les gens pressés, l’article est émaillé d’illustrations qui résument les points traités, et vous pouvez agrandir celles-ci en cliquant dessus.

Le prix unique sur le livre a permis de conserver un bon maillage territorial des librairies.

Le prix unique n’a pas été que l’apanage du livre.

Les avantages du prix unique pour les boulangeries indépendantes

       D’abord, fixer un prix unique permettra aux petites boulangeries de se rémunérer convenablement par rapport au coût de fabrication du pain : farine et énergie. En effet, avec la hausse de l’énergie, beaucoup de boulangeries ne se s’y retrouvent plus[6], et surtout elles ne peuvent pas augmenter le prix comme elles devraient à cause de la concurrence des supermarchés (Leclerc propose une baguette à 29 centimes[7] !) et des chaînes de boulangerie, type Marie Blachère qui a lancé l’offre 3+1, trois produits achetés, un offert[8]. Face à de tels concurrents et à l’inflation grandissante, quelle équation choisir pour les boulangeries indépendantes afin de ne pas perdre leur clientèle ?

       D’autre part, le sujet a été peu évoqué, mais la difficulté de la boulangerie est de pouvoir se passer d’énergie polluante (fioul, gaz ou nucléaire). En effet, aujourd’hui, très peu de boulangeries cuisent leur pain au feu de bois car ce mode de cuisson renchérit le coût en main d’œuvre (il faut alimenter le feu et surveiller davantage[9]).

       De même, si l’énergie solaire est accessible à la plupart des professions, pour la boulangerie, c’est plus compliqué, puisque les vraies boulangeries travaillent la nuit au moment où il n’y a pas de soleil. Toutefois, ce serait aujourd’hui possible pour une partie des ventes car beaucoup de gens achètent maintenant leur pain en fin de journée après leur journée de travail avant de rentrer chez eux.

       Le prix unique, en apportant une meilleure rémunération, permettrait donc d’aider les boulangeries à investir dans le bois en leur permettant de former et de payer la main d’œuvre supplémentaire, et dans le solaire pour celles qui préparent une partie du pain dans la journée.

Dans les faits, comment fait-on ?

Comme avant 1987, le pain sera calibré selon son poids et la farine utilisée. En effet, en moyenne, un pain a un poids identique[10]. Concernant les pains spéciaux, il faudra établir des critères, sur le pourcentage de farine différente, le ratio de graines ou fruits, etc. Il pourra même y avoir un critère sur l’utilisation d’ingrédients biologiques, en favorisant le prix pour ces pains afin d’aider les agriculteurs à passer aux céréales biologiques (plus difficiles que le maraîchage car moins de vente directe), voire même un critère selon la cuisson : solaire ou au bois. Bref, il n’y a qu’à lister tous nos critères sociaux et écologiques afin que la fixation du prix du pain profite à tout le monde et à l’environnement.
Plus d'argent pour investir dans des énergies moins coûteuses.

Résumé des avantages du prix unique pour les boulangeries indépendantes.

Les bénéfices du prix unique pour le consommateur

       Si le prix unique est utile aux boulangeries, qu’en est-il pour le consommateur ? Certains me diront qu’on va y perdre, puisque le pain sera plus cher en moyenne. C’est vrai et faux. Si vous achetez toujours votre pain au supermarché, vous allez forcément voir une augmentation… Mais attention aux effets d’annonce des supermarchés et des chaînes de boulangerie : la première libéralisation du prix du pain en 1978 a entraîné une augmentation de 10 % du prix du pain[11], même dans les supermarchés.

       Quant aux supermarchés qui proposent un prix du pain inférieur au coût de fabrication (Leclerc avec sa baguette à 29 centimes alors que le coût de fabrication est estimé à 90 centimes[12]), c’est pour établir un prix d’appel. C’est-à-dire que vous irez dans le supermarché pour le pain, mais tant que vous y êtes, vous achèterez inéluctablement autre chose qui permettra à Leclerc de se faire une bonne marge. C’est pourquoi le rayon Boulangerie de la majorité des supermarchés est toujours au fin fond du magasin pour être certain que vous allez passer dans les autres rayons pour acheter autre chose ! Au final, si vous payez votre baguette moins chère au supermarché, il n’est pas sûr que vous y gagnez réellement car vous dépenserez plus que ce que vous avez prévu.

       En outre, la fin du prix unique pour le pain l’a bien montré que nous ne payons pas moins cher le pain : ces deux dernières décennies, malgré la concurrence, le prix du pain a augmenté partout.

       D’autre part, si les supermarchés sont obligés d’appliquer un même prix au pain que les boulangeries traditionnelles, ils seront obligés de s’adapter et donc de proposer un meilleur pain. De plus, si nous imposons un prix du pain plus avantageux pour le pain biologique, nous y gagnons au niveau gustatif et sanitaire. Et la santé, ça n’a pas de prix laughing. L’argent public y gagnera aussi puisque moins de pesticides égal moins de problèmes de santé[13], donc moins d’argent dépensé par la Sécurité sociale !

       Fixer un prix unique pour le pain obligera également les boulangeries à respecter un cahier des charges fixé par l’État, le prix ne pourra donc pas augmenter indéfiniment et sera surtout établi au plus juste, aussi bien pour la clientèle que pour la boulangerie.

Arrêter les prix d'appel sur le pain.

Les bénéfices pour le consommateur d’un prix unique sur le pain.

Des gains pour la société grâce au prix unique

       Enfin, un des gains énormes pour la société du prix fixe du pain est comme pour les librairies, la sauvegarde de nos boulangeries traditionnelles. En effet, depuis les années 2000, les villes ont vu l’émergence des « terminaux de cuisson », type La Mie Câline ou Brioche Dorée, où le pain n’est pas fabriqué sur place mais seulement cuit[14], tandis que les zones commerciales ont vu une explosion d’ouverture de chaînes de boulangerie[15] (Marie Blachère et autre). Cette concurrence déloyale a pu être permise grâce à la libéralisation du prix du pain. Si cette lancée continue, à terme, avoir du bon pain non industriel à un prix correct relèvera de la gageure et ne concernera qu’une élite qui aura encore les moyens de payer et d’aller dans la boulangerie de centre-ville.

       Autre point important au niveau emploi, comme tous les commerces, une boulangerie traditionnelle emploie davantage de personnes que la grande distribution[16]. Certains estiment qu’une boulangerie industrielle menace trois boulangeries indépendantes autour d’elle[17]. Appliquer un prix unique au pain permettra donc d’éviter cette hémorragie en cours et de sauvegarder nos emplois.

       Le prix unique du livre l’a très bien montré : si la France a encore un bon réseau de librairies indépendantes, c’est grâce à lui ; contrairement aux États-Unis où les librairies indépendantes sont devenues rares, car les grandes enseignes n’hésitent pas à vendre à perte les livres ! La comparaison des chiffes est parlante : 1700 enseignes de librairies indépendantes pour TOUS les États-Unis contre 3000 en France[18] ! Le prix unique appliqué au pain permettra donc de rétablir un bon maillage territorial de nos boulangeries.

       Enfin, le prix unique pour le pain apportera un autre gain pour la société : l’accélération vers une agriculture respectueuse de l’homme et de la terre. En imposant un prix unique au pain et en favorisant celui biologique, nos céréaliers auront davantage intérêt à passer à l’agriculture biologique car ils auront une assurance sur la vente et le prix de leurs céréales puisque le prix sera fixé par l’État et non plus par les cours boursiers, comme l’est actuellement le blé[19] et autres céréales. Le prix unique du pain permettra donc de contenter tout le monde : la terre, l’agriculture, la meunerie, la boulangerie et la clientèle.

Le prix unique apporterait des gains sanitaires.

Le prix unique sur le pain apportera aussi des gains sociaux, économiques et environnementaux à la société.

Conclusion sur l’application du prix unique au pain

       Établir un prix unique au pain peut sembler au premier abord anecdotique. Mais le nombre d’avantages soulevés par cette mesure montre que fixer un prix pour tous sert réellement la société aussi bien au niveau individuel (notre porte-monnaie et notre santé) qu’au niveau collectif (création d’emplois, respect de la terre, etc.).

       Et c’est ce que je reproche à notre gouvernement actuel : il ne résout jamais les problèmes à la racine. Les temps de crise pourraient permettre de réfléchir à un nouveau système où tout le monde est gagnant en revoyant les règles, mais non, Macron II préfère laisser pourrir le système et ne pas aider les gens à vivre mieux.

Un prix unique sur le pain permettrait à tous les Français d'avoir accès à ce produit de base.
POUR EN SAVOIR PLUS Sur l’histoire du prix du pain en France, dès l’Antiquité, ce billet de France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/prix-de-la-baguette-quand-le-cours-du-pain-etait-fixe-par-l-etat-7602312 Marx et la baguette de Itaru Watanabé chez Decrescenzo Éditeurs. Livre à lire (et qui se lit facilement) car il explique bien comment le système de la boulangerie fonctionne aujourd’hui, et comment faire du bon pain traditionnel est encore possible en faisant des choix forts.
Ma recension : https://crevette-diplomate.fr/livre-marx-et-sa-baguette-itaru-watanabe/. Le témoignage d’un boulanger normand qui cuit ses pains au solaire : https://reporterre.net/Ce-boulanger-normand-cuit-son-pain-a-l-energie-solaire Le sous-chapitre « Boulangerie de rond-point versus néo-boulanger de centre-ville : la France du pain coupée en deux » du livre La France sous nos yeux de Jérôme Fourquet, Jean-Laurent Cassely, Seuil, 2021, p. 225. Livre à lire en entier car très instructif, même s’il manque une dimension politique pour le rendre parfait. Le site En vert et contre tout et son compte Instagram qui avec le défi Février sans supermarché rappelle l’importance sociale, environnementale et économique de se passer de la grande distribution.
NOTES DE BAS DE PAGE [1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/prix-de-la-baguette-quand-le-cours-du-pain-etait-fixe-par-l-etat-7602312 [2] https://mondedulivre.hypotheses.org/1998 [3] https://www.bief.org/fichiers/operation/3384/media/8537/COREE%202010.pdf [4] Au Japon, la pratique du prix unique s’est instauré plutôt par convention que par la loi : https://doczz.fr/doc/4051284/le-march%C3%A9-du-livre-au-japon pages 1218 et 1219 [5] https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/malgre-une-consommation-en-baisse-le-pain-reste-un-incontournable-pour-les-francais-81fbd29c-a10c-11eb-8a9a-06f908cc3273 [6] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-france/20230101-l-inqui%C3%A9tude-des-boulangers-face-%C3%A0-la-hausse-des-prix-de-l-%C3%A9nergie [7] https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/13/la-baguette-a-29-centimes-de-leclerc-declenche-la-colere-des-boulangers-et-des-cerealiers_6109294_3234.html [8] https://www.marieblachere.com/offres-et-menu/notre-offre-31/ [9] https://www.varmatin.com/energie/flambee-des-prix-de-lenergie-la-revanche-des-boulangeries-varoises-pratiquant-encore-la-cuisson-au-feu-de-bois-818440 [10] https://boulangerie.org/reglementation/etiquetage-poids-des-pains/ [11] https://www.lemonde.fr/archives/article/1978/09/30/la-liberation-des-prix-du-pain-s-est-traduite-par-des-hausses-d-environ-10-le-piege-de-la-liberte_3131611_1819218.html [12] https://www.marianne.net/societe/alimentation/comment-leclerc-roule-les-consommateurs-dans-la-farine-avec-sa-baguette-a-29-centimes [13] https://www.ligue-cancer.net/article/26533_les-pesticides-facteurs-de-risque-de-certains-cancers [14] https://www.businesscoot.com/fr/etude/le-marche-des-terminaux-de-cuisson-france [15] https://www.latribune.fr/carrieres/franchises/secteur-de-la-boulangerie-les-chaines-se-multiplient-comme-des-petits-pains-562010.html [16] Dans les faits, un emploi créé dans la grande distribution, c’est trois à cinq qui disparaissent ailleurs : https://envertetcontretout.ch/2020/02/03/fevrier-sans-supermarche-grande-distribution-emploi-defi-remettons-les-pendules-a-lheure/. [17] Jérôme Fourquet, Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux, chapitre « La démoyennisation par le côté : La France du pain coupée en deux », Seuil, 2021, p. 255. [18] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/il-n-y-a-plus-de-librairies-independantes-aux-etats-unis_1785645.html [19] https://data-bourse.lefigaro.fr/matieres-premieres/Ble/BLEF-MP
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