Je ne reconnais plus mon pays
Aujourd’hui, ce ne sera pas spécifiquement un article mais un billet d’humeur. Billet qui m’est venu en discutant avec mon compagnon mais surtout, surtout avec les événements actuels : agression d’une femme voilée en pleine séance d’un conseil régional, gazage d’un pompier par un policier, grèves et manifestions du personnel soignant réprimées par la police, donc l’État.
Oui, j’ai 35 ans et je ne reconnais plus mon pays. Et ce n’est pas l’avènement d’internet, des réseaux sociaux, de l’ordinateur et du smartphone qui l’a transformé. Non, c’est le climat social et ce dans tous les domaines.
LIBERTÉ
Je ne vais pas faire un tableau idyllique de la France des années 1980 et 1990. Il y avait du racisme. Plusieurs membres de ma famille le sont, mais (je vais choquer des gens et je m’en excuse d’avance) c’est ce que j’appelle du racisme de préjugés, c’est-à-dire qu’ils n’ont presque jamais vu de personnes autres que blanches dans leur vie et ils véhiculent tous les clichés que les médias déploient. Mais quand ils se retrouvent face à elles, ils ne vont pas manifester un torrent de haine et d’injures comme on a pu voir ces derniers jours. Non, ils vont soit devenir amis, soit les laisser vivre tranquillement. Normalement, comme l’école nous apprend, on va vers le progrès. J’imaginais ainsi que de plus en plus de familles autres que blanches s’installeraient dans les villages français, jusqu’à temps que cela ne soit plus un événement en soi, mais une famille parmi d’autres et que le racisme de préjugés disparaisse.
Puis, c’était la France black-blanc-beur, avec la Coupe du monde 1998 en apogée. Les médias le disaient, nous allions vivre une nouvelle ère où le racisme n’existerait plus, la France s’était réconciliée avec son passé colonial, catholique et aristocratique, tout le monde serait intégré à la société française. De belles paroles, j’y croyais, j’avais l’impression de vivre des moments historiques. La suite, on la connaît maintenant : 21 avril 2002, avènement du Front national au second tour, débat sur le voile qui ressurgit maintenant presque tous les ans, débat sur le porc à la cantine et dans les hôpitaux (mais aucun débat sur le végétarisme où il y a aussi à dire ou sur le poisson le vendredi), débat sur la représentation religieuse dans les lieux publics (mais aucun débat sur la publicité pour des entreprises privées dans les lieux publics), et débat même sur la tenue de bain ! Chaque année, des débats prônant la soi-disant laïcité, avec des messages de plus en plus haineux, me laisse un goût amer, très amer. Où est la liberté de culte ? Où est la liberté d’habillement ? Je ne reconnais plus mon pays.
ÉGALITÉ
Venant du milieu rural, j’ai vu les années 1990, comme des années de progrès : les trains gagnaient du temps (nous n’étions plus qu’à 1h20 de Paris) tout en desservant TOUTES les villes du département, et même certains bourgs, le TGV a débarqué avec la possibilité de rejoindre le Sud de la France DIRECTEMENT (sans correspondance à Paris). C’était les années 1990. Depuis, les petites gares ferment une à une, les lignes avec des trains pourtant bondées sont supprimées, la gare TGV est en sursis, et maintenant il faut 1h45 pour rejoindre Paris (sans arrêt supplémentaire). Où est le progrès ? L’égalité entre les territoires ? Je ne reconnais plus mon pays.
L’effervescence des années 1990 dans la ville de mon enfance a laissé place à une gueule de bois qui dure, dure et ne guérit pas. La librairie spécialisée BD qui a ouverte dans ces années-là est fermée depuis, deux librairies sont closes, il n’y a plus aucun magasin de jeux vidéo, les magasins d’habits ferment les uns après les autres, mais aussi les antennes des banques. Sans compter les usines qui délocalisent à tour de bras, et le dernier rempart administratif contre le chômage et le périclitement d’une ville se retire aussi : fermeture de la CPAM, du centre des impôts, de la sous-préfecture, d’un bureau de Poste. Après avoir permis les affres de la mondialisation, l’État se désengage sur son propre terrain. Je ne reconnais plus mon pays.
FRATERNITÉ
La fraternité sociale et générationnelle est elle aussi de plus en plus remise en cause. La Sécurité sociale, fleuron et fierté de la société française est mise à mal depuis une quinzaine d’années par les assurances privées (la plupart des mutuelles aujourd’hui sont en réalité des assurances privées). Le collectif est de moins en moins mis à l’honneur : les gouvernants forcent les Français à se tourner vers l’individualisme comme avec la retraite non plus par répartition mais à point, ce qui favorisera les compléments privés. Même le système universel de la CAF a lui aussi été remis en cause, pourtant dans un pays qui a eu toujours une politique nataliste forte. Où sont l’entraide et la solidarité entre générations ? Entre démunis et plus aisés ? Entre classe moyenne et classe riche ? Je ne reconnais plus mon pays.
Tout ce tissage social, humain, très important pour maintenir une cohérence entre les Français, est en train d’être détricoté au fur et à mesure. Les associations aussi bien sportives, culturelles que sanitaires et écologiques font un énorme travail de solidarité et de coopération grâce à leur maillage territorial. Pourtant, celles-ci ont de plus en plus de difficultés avec la baisse continue des subventions et du changement des lois sur le financement des associations, de l’ISF et du crédit d’impôt. Les plus petites disparaissent entraînant la rupture de la chaîne sociale. Je ne reconnais plus mon pays.
Aujourd’hui, il n’y a pas que les associations qui sont en ligne de mire et dégustent les baisses continuelles d’argent mais tout le personnel soignant : aide à la personne, aide-soignant, infirmier, médecin et même pompier. Tous les métiers liés à l’entraide sont ainsi dévalorisés par l’État lui-même. Et comme si cela ne suffisait pas, l’État n’accepte même pas leurs manifestations, en les réprimant violemment. Je ne reconnais plus mon pays.
LIBERTÉ, tu as disparu quand les Français ont commencé à regarder comment étaient habillés leurs voisins.
ÉGALITÉ, tu as disparu quand l’État français a décidé de ne plus se préoccuper que de Paris et des autres métropoles françaises.
FRATERNITÉ, tu as disparu quand l’État français n’a plus accepté une société d’entraide et ceux qui veulent la défendre.
Salut ma belle,
Purée, ô que oui! Ton billet d’humeur sonne juste et touche du doigt là où ça fait mal.
Ta rétrospective m’apparaît comme particulièrement éclairante, notamment lorsque tu pointes du doigts les débats lancinants, et ceux jamais soulevés qui mériteraient pourtant de faire couler de l’encre.
Et comme dirait mon prof d’histoire contemporaine : tout ça, ce sont les conséquences des décisions des classes dirigeantes, les hauts fonctionnaires au pouvoir et les grands patrons. Car si les classes moyennes et les classes populaires étaient directement interrogées sur les fermetures de lignes de train, de services publiques, sur les baisses d’effectifs dans les hôpitaux, jamais elles ne diraient oui!
Tu as raison, moi non plus, je ne reconnais plus mon pays.
Magali