Les applications bancaires ou le revers de la technologie

Les applications bancaires ou le revers de la technologie

Article coup de gueule aujourd’hui !
Du coup, le gros article politique est décalé (et ne sortira que fin mai, car il faut que je vous parle avant d’un livre coup de poing que je viens de lire). Mais là, cela m’a tellement énervée que je ne pouvais pas laisser passer cela, surtout que cela concerne TOUS les Français majeurs puisque nous sommes aujourd’hui obligés d’avoir un compte bancaire
(pour les transferts de rémunération).

C’est un de mes abonnés sur Instagram (@antennezoo) qui m’a prévenue, et dans la foulée, je recevais le même mail que lui (sans le savoir, nous sommes tous les deux au CIC).

Le topo du mail était que suite à une directive européenne sur la sécurisation des paiements par internet, je devais installer l’application de ma banque sur mon smartphone !!!

Comme d’habitude, quand on m’impose quelque chose, je déteste ! Et je déteste encore plus quand la mesure est discriminatoire : comment font ceux qui n’ont pas de smartphone ? Sans oublier, le mensonge : une application n’est pas plus sécurisée qu’un code reçu par texto.

Moins une, moins deux, je regardais cette directive européenne et je me suis renseignée auprès d’amies banquières. Et j’ai bien sûr appelé le CIC pour en savoir plus.

Finalement, le coup de gueule s’est transformé en très long article, car quand on commence à creuser cette histoire de sécurité bancaire, il y a de quoi dire sur les technologies que l’on nous propose sans nous expliquer leur face obscure !

 

Que dit la directive européenne sur la sécurisation des paiements sur internet ?

Cette directive révisée sur les services de paiement (DSP2) a été établie car l’Union européenne trouvait que les paiements sur internet confirmés seulement par un texto n’était pas suffisant au niveau sécurité (mon voisin pourra vous confirmer : il s’est fait pirater son compte de cette façon). Elle oblige donc les banques des pays de l’Union européenne a adopté deux critères de sécurité basés sur ces trois points afin d’établir une authentification forte[1] :

  • un code : un code personnel que vous seul connaîtrez (type mot de passe, code Pin, etc.)
  • un de vos appareils : téléphone, tablette ou ordinateur
  • vous-même en tant qu’individu : empreinte (digitale, rétinienne, etc.), reconnaissance (vocale, faciale, etc.)

Comme vous pouvez le constater sur ces critères, il n’est absolument pas obligatoire de passer par une application ! Les banques peuvent très bien mettre en place un système de mot de passe, une reconnaissance de notre matériel qu’on enregistrerait soit à la banque si c’est un téléphone ou une tablette, soit avec notre conseiller via une adresse IP quand c’est notre ordinateur.

Mail pour installer une application bancaire.
Vous pouvez cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Nous sommes bien d’accord que quand nous lisons ce mail, l’installation de l’application semble obligatoire ?

Les oubliés

       Le premier point qui me gêne énormément dans cette mesure d’installer une application sur son smartphone est comme d’habitude les oubliés qui sont majoritairement des personnes pauvres et/ou des personnes âgées. Nous oublions encore trop souvent, mais il y a encore 15 % de Français qui n’ont pas accès à internet et un quart qui n’ont pas de smartphone[2]. Que fait-on pour eux ?

       Nous l’oublions rapidement car, pour la plupart d’entre nous, c’est une dépense presque indolore mais un smartphone ET internet coûtent de l’argent. Et beaucoup de gens n’ont pas les moyens de se payer une telle dépense. Sans oublier les personnes âgées ou celles qui ne sont pas à l’aise avec un ordinateur, pour elles, c’est déjà difficile de suivre toutes ces technologies sans que l’on ajoute une complexité avec le smartphone. Enfin, les personnes qui ne souhaitent pas installer des applications sur leur téléphone. Et ces personnes existent (mon entourage n’est pas du tout représentatif, mais beaucoup de mes amis, comme moi-même, sommes plutôt réticents à utiliser les applications des téléphones, même si nous possédons un smartphone).

       Heureusement, les banques ont pensé à tout et proposent, à ceux qui n’ont pas de smartphone (mais ayant un ordinateur), un boîtier de contrôle à brancher sur l’ordinateur… C’est très bien… à part que ce boîtier coûte 29 euros ! Venant de la part des banques françaises qui ont eu 21 milliards de bénéfices en 2020, en pleine pandémie[3], je trouve cela gonflée ! Une de mes abonnées (@ashkaryu) m’a indiqué qu’en Belgique, ce type de boîtier était… gratuit ! Si les banques belges arrivent à les faire gratuites, pourquoi pas les banques françaises ?!

       En outre, pour installer l’application, il vous faudra un téléphone récent et avec l’un des deux systèmes dominants, Androïd ou Iphone, eux aussi récents[4]. Si vous êtes sur un système libre, type e/os/ (je vous en parlerai dans un futur article), je ne suis pas sûre que cela fonctionne. Si votre smartphone fonctionne encore sur un vieux système d’Androïd ou d’Iphone, ce sera encore à vous de changer de téléphone, au prix (financier comme environnemental) que cela coûte ? Obsolescence programmée quand tu nous tiens…

       D’autre part, au niveau démocratique, les banques françaises ne respectent pas l’envie des Français : selon une étude de 2020 de la Fédération bancaire française, 83% d’entre nous estiment que la banque idéale doit laisser la possibilité à chacun de recourir à des services sur internet et en agence en fonction de ses besoins[5]. La quasi totalité d’entre nous ne s’y trompent pas : l’agence est encore importante, aussi bien en terme d’égalité d’accès au service qu’au service rendu lui-même sans oublier la lutte contre le chômage.

       Pourtant, la mise en place d’une application bancaire (tout comme l’utilisation des comptes sur internet) fait que nous effectuons nous-mêmes le travail du guichetier (voir mon article à ce sujet). Auparavant, nous allions à la banque, et c’était le guichetier qui nous donnait de l’argent, qui faisait les virements, qui remplissait même les relevés de chèque pour nous. Maintenant, tout cela, c’est fini, c’est à nous de bosser (et gratuitement en prime). Certains me diront, oui, mais c’est pratique, nous n’avons plus besoin de nous déplacer. Ce qui est totalement vrai, mais je trouve que les banques pourraient nous faire un petit cadeau, soit en baissant les frais bancaires (qui pourtant ont augmenté en moyenne de 1075 % en 10 ans[6] !), soit en nous rétribuant puisqu’ils gagnent sur leur masse salariale. Et ne dit-on pas que tout travail mérite salaire ?! En outre, contrairement à l’application ou même au site internet de la banque, le guichet se révèle le meilleur moyen de lutter contre la fraude !

Boitier de connexion fournis gratuitement par les banques belges.

Deux boîtiers de connexion fournis GRATUITEMENT
par les banques belges.

Crédit @ashkaryu
L’argument biaisé de la sécurité

       Ce qui m’a totalement énervée dans cette histoire d’application est le mensonge : oser dire qu’une application est davantage sécurisée est totalement faux. Une application, étant sur un smartphone, même avec un mot de passe, n’est pas sécurisée. Et ne me répondez pas, mais si avec 36000 codes… Cela change peu. Une étude de 2017 de l’entreprise Pradeo (spécialisée dans la sécurité des applications de téléphonie) montrait que les applications bancaires étaient vulnérables à sept types d’attaque[7].

En effet, les pirates arrivent toujours à détourner le système par 1001 et façons :

  • soit en ayant des générateurs de mots de passe (c’est pourquoi il faut mettre des mots de passe complexes) ;
  • soit en récupérant nos mots de passe qui ont été rentrés dans des sites non sécurisées (c’est pourquoi il faudrait normalement changer de mot de passe pour CHAQUE site visité) ;
  • soit en vous envoyant des emails de « hameçonnage » grâce à des adresses emails piratées (vous savez l’ami que vous devez aider…) ;
  • soit en arrivant à rentrer dans le système informatique des sites ;
  • et encore 996 autres façons que je ne listerai pas car cela serait bien trop long.

Pirater un téléphone est encore plus facile qu’un ordinateur car celui-ci se promène partout, est très souvent ouvert à toutes les sources wi-fi et il n’y a que DEUX systèmes dominants sur le marché (Androïd et Iphone). Ainsi, quand vous trouvez comment pirater, il est facile de le faire à grande échelle puisque la majorité des téléphones ont un des deux systèmes. C’est pourquoi dans les grands groupes industriels comme Bolloré, les hauts dirigeants sont restés au Blackberry où tout est crypté.

       Si les banques souhaitaient vraiment de la sécurité, il n’y a qu’une solution, mais qui forcerait à embaucher des personnes et à ne plus fermer des agences : le guichet ! Alors là, aucun risque de piratage puisque c’est vous-même ou un membre de votre famille qui se présente. Étrangement, cette option n’est pas du tout retenue par les banques puisque depuis quelques années, celles-ci écrèment leur masse salariale à tour de bras : la Société Générale lance des plans de départ volontaire de milliers de personnes tous les 2-3 ans[8], idem chez BNP Paribas[9], et toutes les autres banques font de même avec plus ou moins d’effectifs.

       Cependant, il ne faut pas oublier que pour passer par une application bancaire ou payer sur internet avec son compte en banque, il faut avant tout avoir le graal de la transaction moderne : la carte bleue. C’est par elle, que tout a commencé.

La carte bancaire : la transaction sans argent avec un coût important

       Je me pose toujours la question de savoir si Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce en 1974, ne s’en veut pas d’avoir inventé ce système. Si au début, cela paraissait l’idée du siècle : besoin de moins de se balader avec du liquide (aussi bien pour l’argent, que pour les pièces pour les cabines téléphoniques), de paperasse (carte de sécu), cette invention a eu un biais : l’augmentation des coûts pour les utilisateurs (et après, nous ne comprenons pas pourquoi nous ne retrouvons pas les Trente Glorieuses !).

       Il ne faut en effet pas oublier que toute technologie a le revers de la médaille. L’arrivée de la carte bleue a été vue comme bénéfique : plus simple et plus pratique. Mais, le corollaire a été une augmentation des dépenses par les commerçants et par les banques, donc in fine de NOS dépenses.

      Les commerçants payent une commission pour TOUTES les transactions effectuées via une carte bleue. Il y a eu de telles envolées de prix que ces commissions sont aujourd’hui fixées par un règlement européen. Au 1er janvier 2021, la commission est entre 0,20 % et 0,90 % du prix de la transaction[10]. Comme vous vous rendez compte, cela peut faire une certaine somme suivant vos achats ! Il ne faut donc pas se leurrer, cette augmentation des dépenses a été répercutée sur les prix, donc, c’est nous consommateurs qui la payons. Le commerçant doit également payer le terminal de paiement (la « Game boy », là, où vous présentez votre carte et tapez le code). Selon les contrats, c’est environ dans les 20 euros par mois par terminal[11].

       L’augmentation des tarifs s’est vue aussi pour les banques. La fraude, qui existait déjà avant internet, a pris une telle ampleur depuis l’arrivée d’internet que dès 2001, l’État français a crée un Observatoire de la Sécurité des cartes de paiements avec les divers acteurs des transactions bancaires pour lutter contre la fraude… Je ne sais pas si cela a fonctionné ou si la fraude avait été pire sans cet observatoire ? Dans tous les cas, la création d’un tel observatoire montre bien qu’il y a un réel problème crée par le paiement en carte bleue, qui a été intensifié par internet. Cet Observatoire est devenu en 2016, l’Observatoire de la Sécurité des moyens de paiements afin de prendre en compte TOUS les paiements par internet et smartphone. Nous sommes donc encore loin du 0 fraude…

       Cette hausse massive des fraudes est continue d’année en année (en France, 439 millions d’euros[12] en 2018 !!!). Elle touche depuis 2015, tous les ans, plus de 1 million de Français[13] ! Pour ne pas perdre d’argent, les banques sont elles-mêmes assurées, et obligent également leurs clients à souscrire au package de la carte bleue qui contient une assurance… pour les fraudes à la carte bleue. Pourtant, cette assurance pour particulier n’est pas du tout obligatoire puisque la banque est OBLIGÉE par la loi de rembourser les sommes perdues, même si le client n’a pas d’assurance. Et cette assurance, selon les banques et le type de carte, peut aller de 5 à 30 euros par mois, ce qui n’est pas négligeable sur une année, et qu’il faut de plus, la renouveler d’année en année. Évidemment, pour faire passer la pilule, les banques enrobent l’assurance dans un bouquet d’offres, le fameux package, avec d’autres services, auparavant gratuits et aujourd’hui payants (retirer de l’argent dans un distributeur autre que celui de sa banque, effectuer des virements au guichet, etc.), ou même d’autres assurances (« on ne sait jamais »), voire même certaines cartes qui donnent des points de fidélité…

Le coût environnemental de la carte bancaire

La matière même de la carte pose problème puisqu’elle est en plastique difficilement recyclable (PVC-chlorure de polyvinyle- ou ABS-acrylonitrile-budadiène-styrène[14]). L’autre gros emblème est la puce et/ou la bande magnétique. La puce, avec son circuit imprimé est composée de différents métaux dont de l’or, de l’argent et surtout du cuivre qu’il pourrait être judicieux de recycler. Mais ces composants étant minuscules, voire microscopiques, il est compliqué, et surtout coûteux, de mettre en place une telle chaîne de recyclage. Aujourd’hui, les banques nous demandent de détruire la carte périmée par nos propres moyens en la coupant puis en la jetant ensuite à la poubelle. Béa Johnson, la papesse du zéro déchet, elle, préconise de renvoyer toutes nos cartes périmées aux banques afin qu’elles se rendent compte du coût environnemental de celles‑ci.

En sachant qu’il y a plus de 68 millions de carte bancaire en circulation en France[15], le problème n’est pas si anodin. Sans parler des autres types de cartes à puce (carte de transport, sécu, etc.), il serait bon que l’État commence à réfléchir à ce problème, d’autant plus avec l’arrivée de la puce sur les cartes d’identité.

Quant à l’application, elle est elle aussi coûteuse en matière environnementale, mais différemment : ce sont surtout les serveurs de données qu’il faut climatiser et contenant plein de métaux extraits à l’autre bout du monde.

       Je suis sûre qu’avec l’arrivée de l’application, il va en être de même. Pour l’instant, comme nous sommes au début, c’est gratuit, pour que le plus de gens l’installent sur leur téléphone, mais d’ici une vingtaine d’années, elles seront payantes pour justement lutter contre le piratage et pour « sécuriser » votre téléphone.

L’intérêt d’une application : exploiter vos données

       Enfin, la grande question est pourquoi les banques insistent tellement pour que nous installions une application, surtout si elles savent très bien que les fraudes seront plus massives. Peut-être qu’en vendant plus tard des assurances contre ces fraudes, elles se rattraperont de cette façon. Car le coût des assurances couvrent bien assez pour gagner de l’argent. C’est peut-être le cas, mais sur ce point, je n’ai pas assez d’éléments de réponse pour m’avancer.

       Non, là, où les banques vont gagner de l’argent, c’est concernant la vente des données personnelles. Et là, c’est le pactole. Et qui a permis ce relevé de données : la carte bleue ! En effet, toutes nos dépenses y sont relevées avec le type de dépense, le lieu et même l’heure ! Il est donc possible de savoir quand vous êtes en vacances et où ? Quelles dépenses préférez-vous faire (musées, restaurant, activités sportives, etc.) ? Bref, vos dépenses disent tout sur vous. Alors que quand vous payez en liquide, aucune donnée ne peut être vendue puisqu’il n’y a pas de trace (Xavier Dupont de Ligonnès en sait quelque chose).

       Depuis, le RGPD (règlement général sur la protection des données) en 2019, les banques n’ont plus le droit de vendre des données personnelles. Auparavant, la loi est plus que floue, et les banques s’engageaient sur des chartes éthiques… Pourtant, je pense qu’elles n’étaient pas si éthiques que cela, et une vraie enquête à ce sujet s’imposerait (si quelqu’un a des informations, je suis preneuse). Leurs employés, en tout cas, ne sont pas informés d’une quelconque vente de données. Et quand j’ai travaillé en banque, je n’en ai pas entendu parler non plus.

       Cependant, je me rappelle d’un reportage de Capital sur M6, dans les années 1990, où les banques revendaient les données des relevés de carte bleue (c’était le relevé des achats dans un supermarché). Je ne sais pas si elles le font toujours ou si cela a été ensuite interdit par une loi ? Une expérience m’a montré que notre banque (le Crédit Mutuel Nord Europe en 2005) avait vendu nos données à des démarcheurs (ou est-ce l’organisme de prêt, qui est rattaché à la banque ?). En effet, nous venions de déménager dans une autre région, le logement ET le téléphone étaient à mon nom, pourtant, mon compagnon a été appelé et les seuls qui connaissaient la nouvelle adresse de mon compagnon avec ce numéro de téléphone était la banque… De même, il y a deux ans, nous sommes partis en vacances en Espagne. Quelques mois plus tard, nous recevons un coup de fil comme quoi nous avions gagné un voyage en Espagne, car nous aimons bien l’Espagne… Là, deux possibilités, c’est soit la banque, soit le camping qui ont vendu nos données. J’avoue que je penche davantage pour le camping, mais je reste à l’affût !

       Ce qu’il y a d’officiel et certain aujourd’hui, c’est que les données personnelles, dont celles bancaires, se revendent aussi bien légalement qu’illégalement. Nos données personnelles font, par exemple, gagner une trentaine d’euros à Facebook par an[16] (avec presque deux milliards d’utilisateurs, faites le calcul).

       Sur le dark web (l’internet clandestin), une carte bancaire piratée se revend entre 6 et 35 dollars[17]. En revanche, les données d’un compte Twitter peuvent aller jusqu’à 220 dollars[18] ! Donc, avec une application bancaire sur un téléphone qui vous suit partout et qui peut regarder ce que vous faites d’autre sur internet, les données bancaires vont prendre énormément de valeur !

L’application bancaire : un mélange problématique des genres

       L’installation d’une application bancaire sur un smartphone érige un mélange des genres entre banque et publicité plus que problématique. Certaines banques en ligne comme Fortuneo (appartient au Crédit Mutuel Arkéa) ont déjà un comportement plus que limite quant à l’utilisation des données personnelles. Officiellement, ils ne vendent pas les données, mais les publicités des entreprises qui s’affichent via leur application sont ciblées selon le profil du client[19]. Je trouve que c’est totalement du fichage et malsain, mais c’est encore légal, car les données sont toujours chez la banque.

       Par ailleurs, de plus en plus de banques se rapprochent des GAFAM (les gros groupes américains du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). En effet, le paiement est la dernière pièce du puzzle des données que celles-ci souhaitent récupérer : le passage à l’acte financier. Ainsi, Apple Pay et Google Pay, des applications de paiement via son téléphone sans rentrer de numéro de carte bleue à chaque paiement, se sont installés en France grâce à des accords noués avec les banques. Pour vendre leur service de paiement, les GAFAM mettent en avant leur expertise technologique dans ce domaine. Une application coûtant très cher à développer et à sécuriser, les banques françaises ont peu à peu accepté l’entrée des GAFAM dans le domaine du paiement mobile. Pourtant, il est très problématique au niveau des données personnelles de mélanger une application qui aura accès à toutes nos recherches sur internet ET à nos achats finalement réalisés. En effet, les recherches que nous effectuerons par la suite seront biaisées, nous n’aurons donc plus de visibilité sur certains produits ou pages. Et pire, qui ne nous dit pas que dans une vingtaine d’années, les prix proposés sur les sites de vente en ligne ne se feront pas en fonction de ce que nous sommes prêts à mettre ? Cela se voit déjà entre les pays, par exemple les mêmes cosmétiques vendus en Allemagne sont moins chers que ceux vendus en France, et même ceux des marques françaises, car les Français sont prêts à mettre plus cher que les Allemands dans les cosmétiques[20].

Les données personnelles kesako ?

Les données personnelles sont ce que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les fameux GAFAM) en tête récupèrent sur TOUT ce que vous faites sur internet. Données qu’ils traitent ensuite selon des algorithmes (ensemble de calculs dont l’objectif est de donner le résultat le plus performant possible pour le but cherché) et qu’ils revendent ensuite aux entreprises pour qu’elles ciblent mieux vos envies en terme de publicité. Ce qui est problématique est que nous avons l’impression de se servir de leurs produits gratuitement alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas. D’autre part, en revendant nos données pour la pub, notre intimité est exposée à des fins commerciales, sans que nous en soyons toujours conscients.

       En outre, le problème de la non-concurrence se pose : si vous n’avez le choix qu’entre quatre ou cinq applications, c’est un oligopole, ce qui n’est jamais bon pour le consommateur (et les États). Fin avril 2021, l’Autorité de la concurrence sonnait l’alarme à ce sujet[21]. Son autre préoccupation était la puissance financière ET mondiale des GAFAM. En effet, à côté nos banques, qui pourtant brassent des milliards par an, ne sont rien ! Les GAFAM brassent, eux, des centaines de milliards ! Cette disparité de moyens posera problème lors de futures négociations.

       Et l’appétit des GAFAM ne va pas s’arrêter aux applications de paiement. Aux États-Unis, Apple a déjà crée une carte de crédit avec Goldman Sachs (vous savez une des banques américaines responsables de la crise de 2008, qui blanchit également de l’argent sale[22]…). Il y a donc vraiment des questions à se poser sur la mise en place des applications bancaires et de paiement sur nos téléphones.

La carte bleue deviendra-t-elle une carte d’identité ?

       Là, je vais faire mon autrice de science-fiction laughing. C’est en voyant la situation belge que je me suis posée la question. En effet, le boîtier de connexion délivrée gratuitement par les banques belges sert aussi à lire les cartes d’identité qui sont déjà à puce (nous, en France, celles-ci deviendront à puce à partir de août 2021). Comme @ashkaryu m’expliquait, cela sert à s’authentifier pour toutes les démarches administratives effectués par internet. Vu comme cela, cela a l’air très pratique et surtout sécurisé. Et c’est l’un des buts, affiché par le gouvernement français, du passage vers la carte à puce[23] (et de faire plaisir au lobby de Thalès[24]). Mais, comme j’ai un esprit où je vois le mal partout, je vois deux problèmes. Déjà, pour les gens qui n’ont pas d’accès à l’ordinateur et/ou internet. Comme je l’ai écrit en début d’article, il y en a encore beaucoup. Quid de ces personnes ?

Le recto de la nouvelle carte d'identité française
Le verso de la nouvelle carte d'identité française

La nouvelle carte d’identité francaise.
Elle sera au même format qu’une carte bancaire, fabriquée dans le même plastique que celle-ci. La puce électronique intégrée contiendra des informations biométriques.

Crédit gouvernement.fr

       En outre, je me suis demandé si le but final n’était pas de transférer « l’identité » aux banques ? En effet, fabriquer des cartes d’identité coûte cher. Quand je travaillais en préfecture, à l’époque, on faisait payer 25 € la carte (traitement du dossier, matière première et impression spécifique pour la sécurité justement). Avec des cartes à puce, le coût augmentera, et comme l’État français est dans une optique de réduction des coûts tout en étant dans une optique identitaire (objectivement, à quoi sert réellement une carte d’identité, d’autant plus quand on a un permis de conduire ?!), je l’imagine très bien sous-traiter la fabrication de la carte d’identité aux banques, ce qui posera des questions éthiques et de sécurité des données. Questions d’autant plus importantes si les banques nouent des partenariats avec les GAFAM qui ont des moyens financiers colossaux. La question nationale face à l’hégémonie des groupes américains se posera aussi. Dépendrons-nous donc des groupes américains pour nous fournir une identité ?

       Heureusement, pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là, mais soyons vigilants ! Il ne faut pas oublier qu’en cherchant à faire des économies, l’État impacte toujours nos vies.

Pour conclure : que faire ?

       Pour conclure, je ne vais pas vous dire de retourner à l’argent liquide et de ne payer qu’en cash (quoique wink ). J’utilise moi-même une carte bleue, et quand je vois comment l’argent part vite pour les courses, il faudrait que j’aille tout le temps au distributeur ou guichet pour retirer de l’argent. Non, ce que je veux signaler avec cet article, c’est qu’il faut faire attention quand on accepte un nouvel outil. Il nous est toujours présenté comme allant nous « aider », étant plus pratique, mais ses dérives et surtout le COÛT ne sont jamais décrits !

       D’abord, le coût financier. Avec internet, nous avons l’impression que tout est gratuit. Mais non, tout a un coût ! Il faut payer les développeurs de logiciels, d’applications et les multiples mises à jour. Et celles-ci seront d’autant plus importantes pour la sécurité. Tout ce coût, il ne faut pas se leurrer, se répercutera également sur NOS frais bancaires.

       Et il ne faut pas oublier le coût éthique : il n’est pas bon pour une personne comme pour une démocratie que les données personnelles soient à la merci du premier venu. En effet, qu’en est-il du libre arbitre quand la publicité sera totalement ciblée à votre personnalité (et donc à vos envies de consommateur) ? Sans oublier, le côté renfermant de ce ciblage : on ne vous proposera que des produits qui vous ressemblent alors que vous aurez peut-être envie d’essayer autre chose ?! Enfin, cette volonté de vouloir toujours rendre les transactions d’argent toujours plus rapides afin que nous consommions toujours plus pose également des problèmes sociaux et environnementaux. Ainsi, avant d’accepter une technologie, je trouve qu’il devrait y avoir un débat public à ce sujet afin que nous réfléchissons bien à toutes ses conséquences.

Que faire concernant l’application bancaire ?

J’ai moi-même appelé le CIC, qui m’a répondu qu’il n’imposait rien aux gens. Et que pour l’instant, mon authentification était encore forte (je reçois le code par texto). Je ne sais pas si c’est partout pareil et pour encore combien de temps. Mais si vous ne voulez ou ne pouvez pas installer l’application bancaire, rappelez bien que la directive européenne impose la sécurité et non l’application (vous pouvez reprendre ce qui est écrit en début d’article laughing).

Si votre banque vous propose le boîtier de connexion payant, expliquez bien que c’est à la banque de le fournir et non sur vos propres deniers, comme cela se fait dans les banques belges.

Et s’ils veulent jouer, dites-leur que vous retournerez au guichet, ce sera plus simple pour la sécurité. Croyez-moi, ils trouveront vite une solution wink.

Remerciements

Cet article n’aurait pas été aussi bien fourni
sans plusieurs de mes abonnés sur Instagram.
Je les remercie donc pour leurs remarques, photos, vigilance
et leurs réponses à mes questions :

@antennezoo
@apcalipticart
@ashkaryu
@virginehumbrecht

POUR EN SAVOIR PLUS

La carte bancaire en France
https://www.web-monetique.fr/actualite-monetique/gie-carte-bancaire/

L’argent liquide
L’émission radiophonique Le temps du débat, sur France Culture « A-t-on enterré trop vite le cash ? » du 30 octobre 2019 (https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/a-t-enterre-trop-vite-le-cash)

Données personnelles et banques
Connaître ses droits en matière de données personnelles, le site de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) : https://www.cnil.fr/fr/le-paiement-distance-par-carte-bancaire

Le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence sur la main mise des GAFAM comme solution de paiement pour téléphone, 29 avril 2021 : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/enquete-sectorielle-fintech-lautorite-de-la-concurrence-rend-son-avis

Sur les problèmes bancaires
Le hors-série du Canard enchaîné sur les banques et assurances : « Banques, assurances. Entourloupes et mauvais coûts », n° 159, avril 2021. Un beau panorama actuel de tout ce qui ne va pas dans le sytème bancaire et assuranciel.

L’article de 60 millions de consommateurs au sujet de « l’obligation » de passer par une application bancaire, 27 avril 2021 : https://www.60millions-mag.com/2021/04/27/sans-smartphone-bientot-impossible-d-acheter-en-ligne-18598

Victime d’une fraude : l’expérience d’un blogueur (attention date de 2010) : https://lagazetteblogdotfr.wordpress.com/2010/10/11/fraudes-a-la-carte-bleue-ca-narrive-pas-quaux-autres/

Et si votre banque ne veut pas vous rembourser, vous pouvez contacter l’AFUB (association française des usagers des banques) : https://www.afub.org/

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/paiement-la-directive-dsp2-entre-en-vigueur-c-est-quoi-764449.html

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/BRYGO/60129

[3]   https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/en-2020-les-banques-francaises-ont-genere-lessentiel-des-benefices-du-secteur-dans-la-zone-euro-1306585

[4] https://www.60millions-mag.com/2021/04/27/sans-smartphone-bientot-impossible-d-acheter-en-ligne-18598

[5]    http://www.fbf.fr/fr/espace-presse/communiques/etude—les-francais-soulignent-leur-confiance-dans-leurs-banques

[6] Le hors-série du Canard enchaîné sur les banques et assurances : « Banques, assurances. Entourloupes et mauvais coûts », n° 159, avril 2021, page 6.

[7]   https://www.lci.fr/high-tech/attention-votre-appli-bancaire-est-tres-probablement-une-veritable-cyber-passoire-2027022.html

[8]  En 2012 et 2019 : https://www.lefigaro.fr/societes/2019/02/22/20005-20190222ARTFIG00298-la-societe-generale-envisagerait-de-supprimer-1500-postes.php 
En 2021 : https://www.lepoint.fr/economie/fusion-de-societe-generale-et-credit-du-nord-600-agences-vont-fermer-07-12-2020-2404481_28.php

[9]   En 2019 : https://www.lunion.fr/id87967/article/2019-08-22/bnp-paribas-contraint-de-licencier-20-de-ses-effectifs-en-france
En 2020 : https://www.boursier.com/actions/actualites/economie/bnp-paribas-va-supprimer-640-postes-d-ici-fin-2020-36181.html
En 2021 : https://www.moneyvox.fr/banque/actualites/82890/exclusif-bnp-paribas-s-appreterait-a-tailler-dans-les-effectifs-de-conseillers-bancaires

10] https://www.cartes-bancaires.com/produits-services/commissions-interchange/

[11] https://www.web-monetique.fr/location-tpe/tarif-abonnement-tpe-fixe-par-adsl/

[12] https://www.moneyvox.fr/actu/74910/carte-bancaire-cheque-virement-le-vrai-cout-de-la-fraude

[13] https://www.leparisien.fr/economie/fraude-a-la-carte-bancaire-le-casse-du-siecle-08-12-2016-6427959.php

[14] https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/archives-th12/archives-electronique-tiaea/archive-1/cartes-a-puces-e3440/construction-e3440niv10004.html

[15] Chiffres de 2018 : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/07/03/20002-20180703ARTFIG00005-5-chiffres-a-connaitre-sur-la-carte-bancaire.php

[16] https://start.lesechos.fr/societe/culture-tendances/vendre-ses-donnees-personnelles-un-business-controverse-1273442

[17] https://www.forbes.fr/technologie/combien-valent-vos-coordonnees-bancaires-sur-le-dark-web/

[18]  https://www.lesechos.fr/partenaires/orange-cyberdefense/combien-valent-vos-donnees-personnelles-1218438

[19] https://www.moneyvox.fr/banque/actualites/31291/fortuneo-budget-des-bons-plans-cibles-en-fonction-des-habitudes-de-consommation

[20] https://www.arte.tv/fr/videos/098342-004-A/karambolage/ à 2,10 minutes

[21] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/04/29/l-autorite-de-la-concurrence-s-inquiete-de-l-essor-des-gafa-dans-les-paiements_6078565_3234.html

[22] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/12/18/20002-20181218ARTFIG00313-goldman-sachs-implique-dans-le-scandale-du-fonds-malaisien-1mdb.php

[23] https://ants.gouv.fr/index.php/Les-titres/Carte-nationale-d-identite/La-puce-de-la-nouvelle-carte-nationale-d-identite

[24] https://www.bastamag.net/La-future-carte-d-identite

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Nina G

Chouette article 🙂
Petite info apprise récemment au boulot, lors d’une formation RGPD expresse (j’ai d’ailleurs appris que cette formation – le terme “information” ou “communication” serait plus correct – est une obligation légale puisque dans le Groupe nous manipulons des données toute la journée, qui plus est via un outil commun à plusieurs filiales).

Si tu as souscrit un crédit auprès de ta banque, elle doit avoir une gestion ultra sécurisée de tes données : cela implique des données de santé qui sont des données sensibles et confidentielles (tu indiques taille, poids, éventuelles maladies et traitements lorsque tu souscris un emprunt, pour qu’ils calculent le montant de l’assurance).

Caro

Je me suis fait avoir aussi par le CIC qui m’a carrément bloqué mes achats en ligne avec ma carte bleue et qui n’en démord pas : c’est l’application ou le boîtier sinon plus possible de payer des achats sur internet y compris Amazon. J’en ai trop marre, je change de banque. En attendant, j’ai souscrit une formule gratuite sur une banque en ligne avec carte bancaire virtuelle. J’ai l’appli, au moins c’est moi qui l’ai choisi et je clôturerai le compte le moment venu.
Dès demain, je commence le tour des banques car je refuse que mon smartphone soit épié en permanence par mon banquier. Pour info, le CIC m’a confirmé que les données de géolocalisation du smartphone qui héberge l’appli sont collectées.

Cointet Nice

Bravo pour cet article extrêmement complet. Il est vrai que ce qui peut passer pour une évidence pour certains ne l’est vraiment pas pour d’autres, et le fait que les banques aient recours systématiquement aux smartphones pour la sécurisation des transactions en est le parfait exemple. Sans compter que certains systèmes sont compliqués à mettre en place et nécessitent une vraie connaissance de ces outils. Cela exclut de nombreux citoyens.


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